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C'est notre vision de l'avenir qui doit définir le présent car "il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va" (Sénèque).

02 Jan

Les leaders politiques qui vont faire de l’Ukraine un vrai état démocratique ne sont pas sur la scène du Maidan aujourd’hui, ils sont parmi les militants de la société civile, parmi la jeune génération née dans l’Ukraine indépendante

Publié par Violeta Moskalu

Les leaders politiques qui vont faire de l’Ukraine un vrai état démocratique ne sont pas sur la scène du Maidan aujourd’hui, ils sont parmi les militants de la société civile, parmi la jeune génération née dans l’Ukraine indépendante

Oleksiy GONCHARUK, PhD en droit, avocat (CEO, Constructive Lawyers), président de l’ONG «Défense des Droits des Investisseurs Victimes de Fraudes», professeur à l'Institut de Droit Volodymyr Velykyy (MAUP), fondateur du courant politique «Syla Lyudey» («La Force du Peuple»)

Que pensez-vous des événements qui se déroulent sur le Maidan depuis plus d’un mois maintenant ?

Les événements sur le Maidan démontrent en fait qu’il y a un jeu entre nos différents acteurs politiques qui sont les marionnettes de nos oligarques. C’est de plus en plus évident. Par ailleurs, nous sommes conscients que des acteurs extérieurs sont préoccupés ou bien souhaitent influencer la situation, que ce soit la Russie, les Etats-Unis, ou encore l’Europe qui est très vigilante quant à l’évolution de la situation en Ukraine. N’empêche que la Russie garde un avantage pour l’instant, parce que les mécanismes de prise de décision y sont beaucoup plus simples si je peux le dire ainsi... En fait, cette situation, c’est une équation avec beaucoup d’inconnues et c’est très difficile d’analyser les liens de causes à effet.

C’est entre autres un jeu stratégique que l’équipe du président Yanoukovych utilise pour démontrer à ses électeurs de l’Est ou du Sud de l’Ukraine (afin de renforcer leurs craintes) que les « Bandera » (c’est-à-dire les nationalistes) sont arrivés à Kiev pour prendre le pouvoir. Car il comprend que ses électeurs, à cause de la qualité de vie actuelle, ils sont prêts a voter pour lui seulement si les autres alternatives sont encore pires. Et le «pire» – c’est la crainte que Svoboda (le parti politique nationaliste ukrainien) va leur interdire de parler russe, qu'ils sont des néo-nazi, qu’ils viendront leur bruler les maisons, qu’ils ont tué leurs grands-pères pendant la deuxième guerre mondiale, etc.

Ces stratégies sont basées sur une philosophie du passé. Ils parlent tout le temps du passé, des grands-parents et des parents qui ont été victorieux sur l’Europe et sur le fascisme, en rapportant cela à l’Europe actuelle. Ces confrontations sont entretenues pour les gens qui sont moins instruits, et qui en plus sont submergés de tellement d’informations de propagande (transmise majoritairement par les chaines de TV russes qui sont plus présentes dans certaines régions d’Ukraine que les chaines de TV nationales). Donc, les émissions de propagande des chaines russes sont aussi (si ce n’est pas principalement !) conçues pour le spectateur ukrainien chez qui on cherche à entretenir le sentiment de haine et de rejet de tous ce qui est « occidental » (société décrite comme une société ennemie ou en décadence).

Le champ informationnel est complètement différent, les cadres de référence des ces gens-là sont complètement différents, vu qu’ils perçoivent les événements actuels en étant sous l’influence de cette forte propagande qui vient des média russes. Le fait de leur faire croire que les "Bandera" ont occupé la capitale aujourd’hui, ça éloigne l’Est de l’Ouest de l’Ukraine en réalité.

Et même malgré le fait que certaines chaines TV ukrainiennes ont commencé à transmettre des informations véridiques (en partie, à cause de l’apparition récente de quelques chaines TV on-line), à cause des habitudes fortement ancrées (historiquement, les chaines TV russes avaient un contenu de meilleure qualité), le public reste ancré dans les habitudes acquises depuis des années et continue a regarder les chaines auxquelles les gens sont habitués depuis des années. Et les quelques nouvelles chaines ukrainiennes récentes vont mettre beaucoup de temps pour conquérir leur audience car il faut être bien supérieur aux chaines existantes pour plaire à ces spectateurs, ce qui n’est pas le cas à cause des budgets inférieurs, etc.

Voilà, il faut vraiment bien appréhender cet élément extrêmement important en termes de stratégie informationnelle en Ukraine pour mieux comprendre et pour nuancer l’analyse de la situation actuelle.

Quelles sont les perspectives, quel sera l’après Maidan à votre avis ?

Notre avis, c’est qu’il nous faut construire une alternative, et c’est ce que nous avons commencé à faire depuis un peu plus d’un an maintenant avec la création d’un nouveau courant politique « Syla Lyudey » (La Force du Peuple) qui regroupe des représentants de la société civile et certains politiques conscients que ça ne peut plus continuer comme cela.

Selon nous, les partis politiques actuels, que ce soit ceux qui détiennent le pouvoir ou bien ceux qui sont en opposition, sont trop liés aux principaux oligarques ukrainiens et du coup - ne font que défendre les intérêts financiers de ceux qui les financent, les grands lobbyings financiers. Et les acteurs de la classe moyenne souffrent car les intérêts des entrepreneurs gérants de PME, des fonctionnaires ou des intellectuels ne coïncident bien évidemment pas avec ceux des oligarques qui cherchent à monopoliser tout le pouvoir. Les oligarques veulent « maîtriser » la démocratie pour que personne ne puisse dire ni faire grand chose qui irait à l’encontre de leurs intérêts, pour pouvoir continuer à payer le moins possible les salariés afin de maintenir les couts de revient de leur production au niveau le plus bas possible, pour continuer à ne pas faire les investissements nécessaires sensés entretenir et développer la capacité de production, mais pour pouvoir continuer à spolier les ressources actuelles sans se soucier ni des questions de sécurité, ni des conditions de travail, ni de l’avenir du pays. C’est aujourd’hui possible car ils détiennent tout le contrôle sur le pouvoir de l’état en Ukraine.

Donc, personne ne prend en compte les intérêts de la classe moyenne. Et quant aux classes populaires, leurs intérêts sont pris en compte seulement quand il y a un risque de révolte. Car il faut savoir qu’en réalité on les paie tellement peu, juste ce qu’il faut pour qu’ils puissent survivre... Et c’est honteux. C’est impossible de travailler dans de telles conditions de travail.

En plus, on n’investit pas non plus dans les nouvelles technologies qui permettraient de préserver l’environnement, et c’est catastrophique en termes de développement durable du pays. Mais ça laisse nos oligarques indifférents car ils ne vivent pas dans le pays, et leurs enfants ne vont pas y vivre non plus. Mais ils ne sont pas « mauvais », tous ces oligarques, c’est juste qu’ils ont d’autres intérêts.

Et alors, quelle alternative voyez-vous pour que cette situation puisse être améliorée?

Notre courant politique « Syla Lyudey » a été créé il y a un an. Nous sommes en train de regrouper les gens qui comprennent qu’il faut défendre les intérêts de la classe moyenne. Assez rapidement, nous allons pouvoir créer un vrai parti politique qui représentera une vraie alternative aux partis politiques existants aujourd’hui dans le paysage politique ukrainien. Pour nous, le Maidan, c’est un phénomène socio-politique qui est en train de changer la mentalité ukrainienne, c’est un élément catalyseur qui marque le début d’une prise de conscience « consciente » au sein de la société civile et c’est un processus que l’on ne pourra plus arrêter dorénavant.

Le Maidan a surpris tout le monde par son potentiel colossal en termes d’auto-organisation de la société civile, les gens ont compris qu’ils peuvent influencer les processus politiques, et ils ont compris qu’ils sont beaucoup plus nombreux qu’ils ne le croyaient. Et ça, c’est une très bonne chose ! Le Maidan, c’est un phénomène qui est en train de changer l’histoire de l’Ukraine, c’est certain ! Plus précisément, c’est n’est qu’une page dans l’histoire du pays, mais elle nous fait avancer vers une démocratisation du pays, ça c’est incontestable.

Le Maidan, c’est la plus belle chose qui pouvait arriver en Ukraine à la fin de 2013, à vrai dire – c’est bien mieux que la signature de l’accord d’association, mieux que tout. Pour être tout à fait franc, le document qui était préparé pour signature, il n’était pas dans l’intérêt de l’Ukraine, et beaucoup de gens le comprennent. N’empêche qu’il était nécessaire comme une suite logique, parce que nous n’avions pas le droit de refuser sa signature à la dernière minute.

Le Maidan a permis de montrer au monde entier que le pouvoir corrompu en Ukraine, c’est une chose, mais que la société ukrainienne – c’est autre chose, et l’Ukraine en tant que pays, n’est pas perdue. Et c’est le principal résultat du Maidan. Sans le Maidan, l’image et l’autorité de l’Ukraine aurait été dégradée et complètement abîmée pour plusieurs années à venir. Le Maidan a permis de lancer la prise de conscience du peuple ukrainien que c’est lui – la source du pouvoir. Il faut aussi être lucide sans sombrer dans le scepticisme de certains car la cristallisation de cette prise de conscience, c’est un processus très complexe qui va durer très longtemps, qui peut prendre une décennie voire plus en réalité.

La non-signature de l’accord d’association avec l’U.E. n’a été en fait qu’un catalyseur du mécontentement populaire qui était en train de s’accumuler ces dernières années. La qualité de la vie quotidienne s’est considérablement dégradée durant la dernière année en particulier, et ça – sur tous les plans, que ce soit du point de vue du pouvoir d’achat, mais surtout à cause de l’instabilité juridique qui est devenue un vrai élément d’insécurité quotidienne pour les gens. Le pouvoir fait absolument ce qu’il veut, en mettant les gens en prison, l’administration fiscale est devenue un moyen de répression, les tribunaux jugent les affaires en fonction des indications qu’on leur donne. La « famille » au pouvoir accapare le «business», c’est à dire les affaires qui marchent, en rackettant même les députés, quelques soit leur appartenance politique, le banditisme au pouvoir est devenu insupportable et on ne pouvait rien faire contre cela. Avant, il y avait aussi de la corruption en Ukraine, mais avec certains éléments de contre-pouvoir qui permettaient de préserver un certain équilibre malgré tout. Aujourd’hui, nous avons une telle verticale de pouvoir contre laquelle personne ne peut rien faire, et les Ukrainiens ne vont pas vivre longtemps dans de telles conditions. Donc, c’est un contexte qui menait inévitablement à une escalade des mouvements de protestation, protestation qui a atteint un niveau plus important que jamais, et c'est ce qu'on a vu avec l'EuroMaidan.

Il faut aussi comprendre que les partis politiques actuels dits d’opposition en Ukraine (étant de même intimement liés aux oligarques) ont très peur et essayent de monopoliser les forces d’opposition et de canaliser ces mouvements de protestation populaire. Ils ne veulent pas qu’il puisse apparaître de nouvelles forces d’opposition, c’est pourquoi ils font tout ce qu’ils peuvent pour bloquer ou au moins pour limiter l’apparition de nouveaux mouvements. Et ça se fait en réalité avec les mêmes méthodes que celles utilisées par le parti au pouvoir, il ne faut pas se faire d’illusions (je précise que je parle des leaders politiques des deux cotés, car dans les différents partis politiques il y a des gens qui sont tout à fait corrects et fréquentables). C’est pourquoi il y a aujourd’hui beaucoup de distance sur le Maidan envers les leaders des trois partis d’opposition, même si on essaie de coopérer avec eux, tout en sachant que pour eux le parti au pouvoir n’est pas un ennemi, juste un concurrent qui les empêche d’accéder aux ressources du pays.

C’est pour cela que le souhait de la société civile est de réformer le pays, de changer le système, et non pas uniquement les visages ou les noms des gens qui détiennent le pouvoir. Et selon nous, la seule possibilité de changer le système et d’améliorer la situation du pays, c’est la création d’une nouvelle force politique indépendante, stable afin de représenter les intérêts de la classe moyenne, c’est-à-dire des gens comme vous et moi, avec une bonne éducation, conscients et responsables car cette catégorie socio-professionnelle n’est absolument pas considérée par les responsables politiques actuels, leurs intérêts ne sont absolument pas défendus. Il en est ainsi à cause du lobbying du grand capital et de leurs jeux malsains avec les classes les plus démunies à qui on achète les voix avant chaque élection. Ça ne peut plus continuer comme cela.

La seule façon de changer cela en profondeur, de façon systémique, c’est la création d’une nouvelle organisation politique afin de représenter les intérêts de la classe moyenne. Il faut faire cela du bas vers le haut et sur le principe d’un leadership multiple, avec une rotation des leaders, comme dans les parties démocratiques occidentaux. Il ne faut pas nous répéter sans cesse que nous sommes un pays de « sauvages » avec une mentalité inadaptée comme on essaie de nous faire croire (y compris à travers les médias qui cherchent à convaincre les Ukrainiens qu’il n’est pas possible de ramener de l’ordre dans les affaires politiques de l’Ukraine à cause de notre mentalité) car ce n’est pas vrai. Mais on essaie de nous faire croire qu’il est impossible de changer ce mode de fonctionnement.

L’Ukraine a aujourd’hui une chance unique de transformer son système de gouvernance, en s’inspirant du modèle européen, tout en essayant de ne pas reproduire certaines erreurs par ailleurs. Les leaders politiques qui vont faire de l’Ukraine un vrai état démocratique ne sont pas sur la scène du Maidan aujourd’hui, ils sont parmi les militants de la société civile, parmi la jeune génération née dans l’Ukraine indépendante.

Nous sommes en train d’y travailler, dans très peu de temps nous allons pouvoir présenter notre vision de l’Ukraine démocratique avec un vrai programme de changement, construit autour du respect de certaines valeurs universelles telles que la dignité, la liberté et la justice, la transparence, la responsabilité et la solidarité. Tous ensemble nous allons devoir travailler ensuite pour transformer l'Ukraine, le Maidan n'est pas fini, ça ne fait qu'accélérer un processus socio-politique en cours...

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