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C'est notre vision de l'avenir qui doit définir le présent car "il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va" (Sénèque).

02 Jan

Rencontre avec Volodymyr Viatrovych, leader de l'ONG "Civic Sector of Maidan"

Publié par Violeta Moskalu

Rencontre avec Volodymyr Viatrovych, leader de l'ONG "Civic Sector of Maidan"

Volodymyr Viatrovych, PhD en sciences historiques, professeur à l’Université Nationale Académie Mohyla de Kiev, directeur du Centre de Recherches du Mouvement Indépendant en Ukraine (Lviv), ancien directeur des archives du service de sécurité d’Ukraine, professeur invité à l’Institut Ukrainien de Recherches de l’Université de Harvard, un des leaders de l'ONG "Civic Sector of Maidan".

Nous nous sommes rencontrés lors d'une action organisée par les militants de l'ONG "Civic Sector of Maidan"à Kiev le 30 décembre dernier. Un groupe de manifestants est venu avec des miroirs face au jeunes policiers qui bloquent l'accès au quartier présidentiel de la ville de Kiev, avec le message "voilà comment nous vous voyons" (cf. les photos).

Voilà l'essentiel de son témoignage et de son analyse des événements de l'EuroMaidan.

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Notre devoir pour l’année 2015, c’est de faire tomber le régime du président Yanoukovych, nous sommes convaincus que n’importe quel candidat d’opposition sera mieux que le président actuel. Mais à condition qu’il comprenne et accepte les réformes constitutionnelles nécessaires pour éviter de retomber dans des situations comme aujourd’hui. Car nous comprenons que parmi les candidats de l’opposition, il y en a qui aimeraient bien être à sa place aujourd’hui, avec une concentration autoritaire et illimitée du pouvoir dans les seuls mains du président, avec la possibilité de gérer en direct le gouvernement, et avec un parlement sous contrôle, ainsi qu’un pouvoir juridique et policier qui est aussi entièrement sous son contrôle. Certes, les candidats d’opposition seraient tentés de dire : « nous ferons tout dans l’intérêt du peuple ». Mais nous savons que le pouvoir absolu abîme le pouvoir. Du coup, notre demande forte envers les responsables qui viendront au pouvoir, c’est le retour à la Constitution de 2004.

Nous essayons de regrouper en ce moment les militants qui sont vraiment engagés, qui sont dynamiques et créatifs, mais aussi ceux qui savent analyser la situation et qui comprennent que les années à venir il va falloir renforcer le rôle de la société civile dans le but de réformer le pays. Car c’est très bien d’avoir un Maidan dynamique, culturel, créatif, tel qu’on le voit aujourd’hui. Mais il y aussi beaucoup de travail analytique qui est fait car il nous faudra aussi savoir communiquer, négocier, être diplomatique, savoir faire du lobbying sur ces questions-là dans l’environnement politique actuel.

Nous allons bien sûr nous battre contre le régime politique actuel, mais nous allons aussi devoir faire pression sur l’opposition pour leur faire comprendre qu’il doivent aussi nous écouter, et ça – il faut aussi savoir le faire, afin que les leaders de l’opposition actuelle finissent par écouter la voix et les attentes de la société civile, donc du peuple ukrainien.

Car si nous allons seulement nous battre contre le pouvoir, en croyant que l’opposition fera tout ce qu’il faut ensuite, ce sera une grave erreur. En fait – c’est ce que nous avions fait en 2004, quand nous étions des militants actifs dans l’association « Pora », en croyant qu’une fois les politiques de l’opposition seront au pouvoir, ils feront ce qu’il faut car ils s’y connaissent mieux que nous. L’échec de l’ancien président Youshchenko s’explique aussi par l’immaturité de la société civile à l’époque, qui s’est dispersée après la révolution orange avec le sentiment que la suite ne dépend plus des militants, mais des hommes politiques. La responsabilité nous appartient aussi d’une certaine façon, dans le fait que le pays n’a pas suffisamment avancé avec l’ancien président.

Le plus précieux sur ce Maidan, c’est le changement de mentalité des Ukrainiens, qui prennent conscience de la force de leur union. Les Ukrainiens ont été malheureusement trop longtemps dans le système soviétique qui a éradiqué toute forme de sentiment de citoyenneté chez les gens. C’est-à-dire on avait une philosophie du type « l’homme n’est pas un citoyen, mais une vis qui n’a pas une grande importance, qui n’a aucune influence ». L’ « homme – vis » qui attend que le pouvoir fasse tout ce qu’il faut faire à sa place, c’est le paternalisme, c’est le manque d’initiative.

Sur ce Maidan, cette ancienne mentalité « soviétique » est dépassée, les gens ont su s’auto-organiser, sans attendre qu’on leur dise ce qu’il faut faire, mais ils prennent l’initiative et font en fonction de ce qu’ils savent faire. La prise d’initiative a été extrêmement importante, ainsi qu’un sentiment de solidarité extrêmement fort, les gens savent qu’ils doivent se défendre et s’entraider. C’est aussi très différent de la mentalité « soviétique » avec le postulat bien connu en Ukraine « moya hata z krayu » (« mieux vaut rester de coté, ne pas se mêler, ne pas s’impliquer ») quand les gens avaient peur de se montrer, de descendre dans la rue, d’aider quelqu’un d’autre.

A mon avis, ce sont là, les vrais résultats obtenus avec ce Maidan, cette ambiance solidaire, dynamique, responsable, c’est le signe qu’il y a une réelle prise de conscience de la société civile, avec l’émergence de quelques organisations citoyennes très fortes, parmi lesquelles – certaines vont se transformer dans un nouveau courant politique dont l’Ukraine a réellement besoin aujourd’hui.

Le Maidan d’aujourd’hui n’a pas été « lancé » par les forces politiques d’opposition. Oui, nous coopérons avec eux, mais les sondages d’opinion ont démontré que seulement 5% des gens qui viennent manifester le font à l’appel de l’opposition. Et tous les autres manifestent pour défendre leur dignité et contre l’injustice. Cela démontre que l’opposition n’a pas vraiment une grande influence et cela signifie qu’elle doit aussi changer, ou bien laisser la place à un nouveau courant politique qui viendra la remplacer. J’espère qu’ils vont finir par le comprendre et que cela les motivera à changer, même si je reste un peu sceptique quand même car beaucoup de choses démontrent qu’ils ont du mal à comprendre et à accepter le rôle important que la société civile peut et veut avoir dorénavant dans la vie du pays.

La preuve, c’est la mise en place du conseil national du « Maidan », sensé regrouper les forces de l’opposition et les représentants des NGO, que les leaders de l’opposition veulent maintenir sous leur contrôle. Nous avons formulé il y a 10 jours certaines propositions et attentes concernant cette institution, mais ils ont du mal à nous entendre pour l’instant. Nous aurons une meilleure vision dès que les statuts de ce conseil national « Vseukraïnske ob’ednanya Maidan » seront finalisés, mais pour l’instant – nous n’avons pas l’impression qu’on nous entend vraiment. Pour l’instant, on nous dit que « dans ces temps révolutionnaires, ce n’est pas le moment pour penser à des choses stratégiques, certains s’autorisent même à dire que la démocratie peut nous empêcher en ce moment où il faut plutôt de la discipline », mais ce sont des choses absurdes qui discréditent les leaders de l’opposition d’une certaine façon.

Mais nous ne voulons pas nous battre contre eux en ce moment, plutôt contre ceux qui ont une influence sur eux et qui les empêchent d’évoluer. Mais l’essentiel de ce qu’il faut comprendre, c’est que s’ils ne changent pas, ça se passera de la même façon qu’avec le Maidan actuel qui n’a pas émergé « grâce » à eux : il y aura une nouvelle force politique qui sera une alternative par rapport à celles qui existent aujourd’hui dans le paysage politique ukrainien.

De toute façon, pour l’instant nous essayons d’avancer sur ces deux champs : du point de vue opérationnel, nous avons beaucoup de choses à faire sur le Maidan, afin d’entretenir cette dynamique nouvelle qui a émergé et qui est en train de se cristalliser maintenant, et du point de vue stratégique, nous avons lancé une réflexion analytique quant aux réformes nécessaires que nous allons pouvoir présenter bientôt sous la forme d’un vrai programme politique en quelque sorte.

La sortie de ce Maidan va certainement se concrétiser sous une forme plus institutionnelle, ça s’est sur. D’une part, pour ne pas perdre la confiance de tous les manifestants qui ont démontré leur envie de faire évoluer le pays, d’autre part – c’est aussi une question de survie pour nous tous car si nous ne restons pas solidaires, ils vont nous broyer un par un, le risque de répressions est réel et nous en sommes conscients. Que ce soit des répressions physiques comme avec la journaliste Tetyana Chornovol qui a été violemment agressée il y a quelques jours, ou via d’autres formes de violence plus psychologique comme la douzaine de voitures des militants qu’on a fait brûler dans certaines régions de l’Est, ou bien des répressions juridiques à travers l’ouverture des enquêtes criminelles contre les militants les plus actifs, certains seront licenciés, et pleins d’autres choses dans ce sens sont possibles. Nous devons rester solidaires au moins pour assurer notre propre défense contre les répressions politiques auxquelles il faut se préparer, c’est une question de survie.

Le problème de nos politiques, c’est qu’ils ont une attitude assez méprisante envers les gens, ils pensent que les slogans « les bandits dehors !» (« bandu – ghet’ ! ») leur suffit, ce qui n’est pas vrai en réalité. Les gens ne sont peut-être pas tous capables de lire un programme de plusieurs dizaines de pages avec les réformes nécessaires, mais ils comprennent l’essentiel et notamment la nécessité de mener des réformes administratives visant à décentraliser le pouvoir et à instaurer une gouvernance locale, avec un fonctionnement administratif plus proche des territoires. Les points-clés qui sont au centre de nos préoccupations aujourd’hui, ce sont la nécessité de réformer la police et les tribunaux et la décentralisation du pouvoir via une nouvelle forme de gouvernance locale.

Et nous allons devoir expliquer tout cela dans les régions et dans les villes partout en Ukraine pour expliquer aux gens que c’est possible et pour leur redonner confiance dans l’avenir, et ça sera une tâche très difficile car le niveau de confiance des citoyens est au plus bas, il y a un niveau de méfiance et un scepticisme assez important quant à la réalité et à la faisabilité de ces changements qui peuvent améliorer l’avenir de notre pays.

Et le Maidan est important de deux points de vue : a) préparer le programme des réformes avec lequel nous allons pouvoir aller à la rencontre du peuple ; b) la possibilité d’utiliser le Maidan comme plate-forme de lancement de ce travail de coordination en lien avec les autres Maidans qui existent un peu partout en Ukraine

Nous allons d’ailleurs lancer des actions dans ce sens, après les fêtes, dans des tentes situées sur le Maidan dans le but de former les militants et de les aider à développer certaines compétences fondamentales et indispensables pour la suite : comment communiquer, comment entrer et garder les contacts via les réseaux et dans la vraie vie, comment résoudre un problème particulier ensemble, de façon coopérative, constructive et efficace. Parce que beaucoup de gens n’ont pas ce savoir-faire indispensable dans une logique de démocratie participative. Et nos jeunes militants ont déjà acquis une certaine expérience dans ce sens, à travers les activités associatives et les engagements militants précédents, en ayant fait des études à l’étranger ou en ayant voyagé un peu partout dans le monde où ils ont pu observer ces mécanismes et ces modes de comportement ; c’est donc à eux de transmettre et de former ceux qui n’ont pas pu ou n’ont pas eu la possibilité de développer toutes ces compétences que je viens de citer.

Nos citoyens n’ont pas encore développé la culture de la communauté, ou du monde associatif, avec la capacité de se regrouper dans le but de défendre leurs intérêts autour de tel ou tel problème, au niveau local ou national. Ils tombent dans le piège des conflits permanents, sont méfiants les uns envers les autres, ne savent pas travailler sur un mode associatif car ils n’ont jamais vu cela ailleurs et ne savent pas faire. Donc, nous allons lancer une université « ouverte » dans ce sens sur le Maidan, tant que le Maidan sera là, sachant qu’au vue de la dynamique enclenchée, il y aura une présence et une activité sur le Maidan pendant longtemps. Et ça ne dépend pas de nos responsables politiques, car ce processus ne peut plus être arrêté par eux, le Maidan ne peut s’arrêter que si nous, les militants prenons cette décision, si nous considérons que ça suffit, qu’on est fatigué, qu’on a changé d’avis ou bien qu’on va procéder autrement, qu’on va le développer sous une autre forme. Parce que le Maidan n’a pas été convoqué par les politiques, c’est une expression populaire et à mon avis, aucun des leaders de l’opposition ne peut se permettre de demander aux militants de rentrer chez eux, de mettre fin aux manifestations de protestation sur le Maidan ou via le Maidan, ce serait un suicide politique pour celui qui ferait cela.

Mais à mon avis, les partis politiques d’opposition ont peur d’une vrai société civile organisée, ils en ont aussi peur que le parti qui détient actuellement le pouvoir. Car ils sont conscients que c’est facile de faire manifester les gens contre le pouvoir, ce qui sera impossible contre les ONG associatives exprimant les attentes de la société civile. Pour eux, c’est comme ce Leviathan contre lequel ils n’y pourront rien.

Pour conclure, nous avons aujourd’hui besoin que des gens comme vous viennent sur place afin de comprendre les enjeux colossaux de l’EuroMaidan et pour tenir informé le monde extérieur via les contacts que vous avez au sein de différentes institutions européennes et internationales, ainsi que pour communiquer directement avec des représentants des ONG et de la société civile à l’étranger.

Cela va légitimer les différentes institutions qui émergent maintenant au sein de la société civile, et nous avons besoin de cette forme de «reconnaissance» dans les yeux de la société ukrainienne et aussi dans les yeux de l’opposition qui va commencer à (ou qui sera obligée de) comprendre qu’il faut travailler main dans la main avec les représentants de la société civile, si les Européens travaillent avec eux. C’est le premier axe de travail qui est vraiment très important en ce moment. Un 2me axe de travail, c’est l’organisation de séminaires, le partage d’expérience, en terme de leadership, de communication, de démocratie participative, de gouvernance locale, etc. Car nous aurons des milliers de personnes à former prochainement.

C’est vraiment ces deux axes de travail qu’il faut lancer maintenant. Dans une perspective court terme, les contacts avec vous, les journalistes, les intellectuels issus de la diaspora qui travaillent avec différentes institutions au sein de la communauté internationale, c’est extrêmement important pour acquérir une certaine forme de reconnaissance et pour asseoir notre légitimité, à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de l’Ukraine. Car il faut être conscients que d’ici 2015 nous allons être dans un pays où nous n’aurons pas beaucoup de soutien, bien au contraire – toutes les formes de répressions seront utilisées pour intimider les militants et pour empêcher la formalisation de ces initiatives et des mouvements au sein de la société civile ukrainienne. Et c’est vraiment très important, pour nos militants, de savoir que nous pouvons compter sur le soutien, au moins moral, des Européens. Et qu’en cas de répressions très fortes, ils ne vont pas rester indifférents. Il faut aussi comprendre que le modèle « Biélorussie n°2 » que le régime de Yanoukovych va essayer d’imposer en Ukraine, il ne pourra être empêché qu’à travers la menace de sanctions financières ou politiques de la part de la communauté internationale car il faut savoir que notre président et ses proches, ils ont vraiment beaucoup d’actifs à l’étranger (ce qui n’est pas le cas de Loukashenko, qui n’a pas d’actifs à l’étranger, ni d’oligarques comme les nôtres). Et c’est aussi un rôle important en ce qui concerne le soutien nécessaire attendu par cette nouvelle génération politique, aux aspirations démocratiques fortes, qui émerge en ce moment-même en Ukraine.

Par ailleurs, entre chercheurs (rires), il est aussi vrai que du point de vue de la recherche scientifique, c’est aussi extrêmement intéressant de suivre de près l’émergence de ce nouveau modèle de gouvernance politique basé sur des principes tels que le leadership multiple, la transparence, l’utilisation des NTIC, le travail en réseaux. Et ce modèle peut-être potentiellement même plus intéressant que les modèles démocratiques qui existent ailleurs, dont on peut s’inspirer, pour en faire une forme améliorée.

Rencontre avec Volodymyr Viatrovych, leader de l'ONG "Civic Sector of Maidan"
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